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N. Pachinian: une large victoire aux législatives anticipées qui parachève la Révolution de velours

Dernière mise à jour : 21 juin 2019

Alexis Krikorian


Les gens font la queue pour voter. Bureau de vote à Erevan le dimanche 9 décembre 2018 (élections législatives anticipées)

En remportant largement les législatives anticipées hier en Arménie avec 70 % des voix, Nikol Pachinian a brillamment réussi son pari: obtenir une large majorité pour gouverner et ce 8 mois seulement après avoir été porté au pouvoir par la rue. Il parachève ainsi la "révolution de velours" et met fin à un règne de 18 ans au pouvoir du parti républicain.

L'euphorie de la révolution de velours, dont on a tant parlé ces derniers mois, semble pourtant absente des rues de Erevan dans les jours précédant le scrutin. Difficile de dire à quoi cela est du. A une certaine fatigue déjà face à un processus débuté au printemps ? A une campagne dure où tous les coups semblent permis ? Depuis un certain temps, comme nous l'avons évoqué dans un article précédent, les réseaux sociaux sont saturés de messages homophobes, d’appels à défendre la famille arménienne traditionnelle ... Ces messages émanent pour la plupart de partis d’opposition à celui de Nikol Pachinian, le Premier ministre par intérim jusqu'à hier encore. L'ancien parti au pouvoir en particulier, le parti républicain (PR), n'a semblé reculer devant rien, jouant notamment sur les peurs, pour discréditer Nikol Pachinian. L'enjeu pour lui était de passer la barre des 5 % lui permettant d'être représenté au Parlement et, finalement, de continuer à exister. Pari perdu avec seulement 4,6% des voix hier.

Voici un exemple d'affiche que ce parti a affiché à travers tout le pays pendant la campagne des législatives.


Le message est le suivant: "Si tu t'inquiètes du fait que tes valeurs traditionnelles seront dégénérées, alors vote pour Arman Sahakian (candidat du PR)".

Dans un autre message il est dit: "Si tu t'inquiètes pour l'avenir du Karabagh, vote pour le PR.

La fuite d'enregistrements de conversations téléphoniques entre Nikol Pachinian et le chef du service national de sécurité (SNS) émanant de on ne sait quelle officine a conduit le Premier Ministre par intérim à parler de "guerre déclarée contre l'Etat arménien", imputant ces fuites au "système corrompu" qui a gouverné l'Arménie avant lui et appelant ses partisans à voter en masse pour son parti.

Quels faits positifs peut-on en revanche relever ?

Des élections beaucoup plus libres qu'en 2017 :

Dans les jours qui ont précédé l'élection, personne ne parle d'achat de voix, contrairement aux élections d'avril 2017 lorsque ces achats semblaient monnaie courante. Dans son pré-rapport du 7 décembre, l'initiative Akanates (voir plus bas) a également conclu que la phase pré-électorale des élections anticipées a été "généralement libre et équitable, offrant ainsi l'occasion d'une campagne pacifique", ajoutant: "Il s'agit là d'une différence essentielle par rapport à la même phase des élections législatives de 2017. Il y a eu moins d'abus dans le domaine du recours aux ressources administratives. Il y a également eu moins de pression sur les électeurs".

Les élections elles-mêmes se sont déroulées de manière beaucoup plus libre que celles de l'année dernière. Hyestart, qui a observé les deux dernières législatives, peut en témoigner. Cette année, de 8h00 à 20h00, j'ai fait le tour de 12 bureaux de vote de Erevan en binôme avec Elmira, une jeune femme de 21 ans, de Nubarachen à Chengavit en passant par Pokr Kentron et Erebuni. Cette fois-ci, et contrairement à 2017: pas de traces de campagne à l'abord des bureaux de vote, pas de traces de gros bras encourageant un vote plutôt qu'un autre, moins d'embrouilles au sein des bureaux de vote eux-mêmes, pas de minibus affrétés pour amener des électeurs en masse. Ce dernier point explique surement en partie une participation inférieure cette année de 12 points (à 48,6%) à celle d'avril 2017 (à 60,8%). L'on pourrait également s'interroger sur la réelle présence en Arménie de l'ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales. Au total, les élections de décembre 2018 sont clairement beaucoup plus propres que celles d'avril 2017.

Le 6 décembre, un débat télévisé réunissant toutes les têtes de liste a eu lieu sur la télévision publique A 1. Et ce jusque tard dans la nuit. Les échanges ont parfois été vifs, notamment au sujet de la fuite des conversations entre Pachinian et le SNS. Le PR a affirmé que la justice était aux ordres du Premier Ministre. Pachinian a répondu que si c'était le cas, 90% du PR serait en prison. Le simple fait que ce débat ait eu lieu, une première, est un énorme progrès pour la démocratie arménienne.


L'engagement de la société civile :

L'engagement de jeunes gens ne comptant pas leurs heures au service d'élections libres et justes à l'image d'Elmira est aussi un point extrêmement positif. On peut vraiment tirer notre chapeau à cette jeunesse ouverte qui s'investit sans compter au service d'une Arménie plus juste et démocratique.


Lors des législatives d'avril 2017, l'initiative "Citizenobserver" regroupant trois ONG (Asbarez, Transparency international et Europe in Law) avait réussi à mobiliser environ 300 citoyens de la diaspora a participer en tant qu'observateurs, en plus de centaines d'observateurs nationaux. Cette année, la mission d'observation d'Akanates, une initiative conjointe de Transparency International Armenia, Asbarez Journalists Club et Restart Civil Initiative, a déployé 600 observateurs (essentiellement d'Arménie) dans 300 bureaux de vote, ainsi que 50 équipes mobiles d'observateurs et 76 observateurs des commissions électorales territoriales dans tout le pays.

Contrairement à ses précédents efforts de surveillance à grande échelle, l'Initiative a utilisé cette année la technique avancée d'observation des élections (l'observation basée sur des échantillons (SBO)), déployant ses observateurs dans un échantillon statistiquement représentatif de 300 bureaux de vote (le pays en compte 2000).


Pour Hyestart, qui souhaite s'engager dans la durée, il s'agissait à nouveau d'un engagement citoyen visant à s'assurer dans la mesure du possible, en prenant part à un large mouvement citoyen, que les élections se déroulent au mieux, qu'elles se rapprochent le plus possible du statut d'élections libres et justes. Les droits humains ne pourront s'épanouir en Arménie que si la démocratie, dont les élections libres et justes sont un élément essentiel, se développe de manière harmonieuse.


La manière dont les élections se sont déroulées, de manière beaucoup plus libres que les précédentes, est de ce point de vue très encourageante. Maintenant que la révolution de velours est parachevée, le plus dur commence d'une certaine manière. L'espoir est immense. Les défis ne le sont pas moins tant en politique intérieure qu'en politique extérieure. De part sa situation géopolitique, les marges de manoeuvre de l'Arménie sont malgré tout très étroites dans de nombreux domaines (Karabagh, relations Turquie-Arménie, relations Russie-Arménie...). Les résistances en interne à une meilleure intégration de la diaspora à la vie arménienne semblent également fortes malgré la volonté du Premier Ministre. Les domaines où le nouveau gouvernement semble disposer de marges de manoeuvre évidentes sont les luttes contre la corruption et la pauvreté. L'on espère qu'une meilleure prise en compte des droits humains, y compris des minorités, se range également dans cette catégorie du champ des possibles. Nous reviendrons vraisemblablement dans nos prochains articles sur les rapports Arménie - Diaspora à l'orée de cette nouvelle période dans la vie politique arménienne.



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