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L’activité extractive: un problème incontournable pour la «révolution économique» de N. Pachinian

Alain Navarra-Navassartian



Le gouvernement de Nikol Pachinian a dévoilé son programme économique. Restant assez vague sur les modalités de la croissance, il en définit plus clairement les objectifs : réduction de la pauvreté et recul du chômage sont les objectifs principaux. Les prescriptions pour atteindre ces buts sont : une nouvelle législation fiscale, une baisse de l’impôt sur les bénéfices et sur le revenu, la fin des monopoles, l’appel à des investisseurs étrangers, privés ou institutionnels.

Au même moment, à Jermuk, à Gdnevaz et à Ketchut, la population filtre les trois accès de la montagne Amulsar et de ses gisements d’or. Ce bras de fer dure depuis plusieurs années, mais, depuis juillet 2018, les écologistes arméniens et une partie de la population bloquent les routes menant au site. Les 3000 signatures obtenues à Jermuk et les 2500 de l’ensemble de la région de Vayots Dzor démontrent que les aspirations populaires du mouvement social qui ont porté Nikol Pachinian au pouvoir ne s’arrêtent plus aux urnes électorales.

Le blocus de la mine d’Amulsar révèle plusieurs aspects endémiques de l’économie arménienne mais aussi du traitement très léger des catastrophes environnementales par les compagnies internationales qui gèrent l’extraction minière du pays.


L’Arménie est un pays qui recèle d’importante ressources minières : des 30 mines recensées, 27 ont des permis d’exploitation. Ces licences sont détenues pour moitié par des investisseurs étrangers tandis que l’autre moitié appartient à des oligarques, au travers de sociétés-écran et de savants mécanismes financiers.

L’état arménien ne « possède » aucune de ces mines, mais touche des dividendes, conséquents. ZCMC, entreprise minière détenu à 75% par une entreprise allemande, est le principal contribuable en Arménie pour l’année écoulée.


L’exemple le plus frappant avant les évènements d’Amulsar, fut celui de Teghout, dont l’exploitation ouverte en 2014, révélait les liens entre un fonds d’investissement danois, une banque russe, la compagnie minière arménienne Vallex et l’agence de crédit à l’exportation danoise EKF.


Dans le cas d’Amulsar, on trouve une compagnie britannique, la Lydian international, créée à Jersey. Elle bénéficia de l’appui politique du gouvernement précédent qui changea le statut des terres du site de la mine, les faisant passer de zone agricole à zone industrielle.


Les scandales répétés de pollution sur le sol arménien par l’extraction minière sont également utilisés dans le cadre de la géopolitique. L’Azerbaïdjan depuis 1999 en appelle régulièrement au conseil de l’Europe et à d’autres instances occidentales pour souligner la mise en danger de la potabilité de son eau (et donc de la mise en danger de sa population) par la pollution qui provient de l’Arménie. Il faut souligner que le même problème se pose avec la Géorgie, mais, les rapports des deux pays étant différents, l’Azerbaïdjan en appelle moins aux instances internationales. En 2006, elle appellera les ministres européens à obliger l’Arménie à signer les accords d’Helsinki.





Un autre aspect intéressant et, à la fois, inquiétant du fonctionnement et du financement de la mine d’Amulsar est l’implication de l’agence de crédit à l’exportation danoise EKF (mentionnons brièvement les « géants méconnus de la finance » que sont ces agences de crédit à l’exportation (ACE) : Bpifrance, Export-Import Bank of the United States, Euler Heines Aktiengesellschaft (Allemagne), etc.).





Il ne s’agit pas d’expliquer, ici, un fonctionnement particulièrement complexe mais seulement de souligner qu’un certain nombre de projets soutenus par les ACE ont des effets préjudiciables sur le développement et l’environnement ou portent atteinte aux droits humains.


En 2017, EKF se retirait de l’exploitation de Teghout qui s’avère être un désastre écologique.


Nikol Pachinian, lors d’une conférence de presse donnée en décembre 2018, affirmait l’importance du secteur minier pour l’économie arménienne, mais reconnaissait la nécessité de le faire correspondre aux standards internationaux. Ainsi ont été mis en avant le laxisme de la législation, la corruption endémique, le danger environnemental et le discours ambigu des pays occidentaux concernant ces agences, puisque les ACE occidentales ne sont pas tenues de respecter les règles minimales en ce qui concerne l’environnement ou les aspects sociaux pour les projets qu’elles financent.


La Lydian International, entreprise privée, promettait la création de 700 emplois pour les dix ans d’exploitation et 300 millions d’euros pour l’état arménien. Mais personne vraiment n’a pris en compte les dangers écologiques : les réservoirs de Ketchut et Spendaryan pollués et, à plus long terme, la pollution de lac Sevan, puisque relié directement au réservoir de Ketchut.


Les pays occidentaux, au travers de ces agences, se trouvent dans une contradiction politique totale : on ne cesse de parler de dangers touchant nos ressources naturelles, on veut des normes environnementales et sociales sévères et, dans le même temps, ces pays n’imposent pas de règles similaires à leur propre agence de crédit à l’exportation. Une moralité compassionnelle à bon compte.


Le blocus de la mine a commencé au moment de la révolution de velours et ce détail est important. Le mouvement de Nikol Pachinian a entraîné le peuple à refuser de se soumettre à un pouvoir arbitraire. Devant la mine d’Amulsar, ce n’est pas un groupe « d’excités écologistes » que l’on trouve mais bien un groupe important, composé d’un ensemble divers et varié de la population de Jermuk. C’est évidemment une interpellation des citoyens à l’état sur sa volonté, ou pas, d’entendre encore l’expression directe de souhaits et des griefs.


Ce qui interpelle particulièrement, dans les discussions avec les habitants ou les débats suscités par la pollution de la mine, c’est que la population appelée à protester collectivement durant cette révolution de velours, et à qui l’on a répété que les marges seraient aussi importantes que le centre (la marche de Gyumri vers Erevan avait cette signification), cette population, donc, n’entend pas devenir aussi facilement juste une « minorité active » et que ce mouvement de protestation écologique est bien ancré dans la réalité et n’est pas déconnecté du bien commun.

En cela, et par bien d’autres aspects, la révolution de velours et le mouvement qu’elle a engendré est particulièrement intéressante ; il ne s’agit pas de « glisser », ou pas, vers plus de démocratie, mais bien de montrer que ce qui s’est passé n’est pas un simple correctif aux défaillance étatiques. Ils sont vraiment les principes révélateurs des aspirations du peuple arménien à une réelle démocratie. C’est une manière de reprendre possession de la parole spoliée pendant si longtemps. La suppression du consentement que représente la révolution de velours se retrouve dans ce combat écologique. C’est la volonté de rupture d’allégeance aveugle.

D’autre part l’action concertée en faveur de l’arrêt de l’exploitation de la mine, démontre une organisation performante parce qu’elle accomplit une action collective. Il existe donc une liaison forte entre la nature de l’action et le contexte de l’action : la révolution de velours.


Nikol Pachinian, lorsqu’il parle de révolution économique ne devra pas oublier les possibilités qu’il a ouvertes : une nouvelle restructuration sociétale, mais aussi de nouveaux modèles de régimes d’action. L’unanimisme n’est plus un devoir national. Et il sera difficile de recourir à nouveau au légalisme autoritaire du gouvernement précédent. Le combat mené par la population de Jermuk et de la région de Vayots Dzor est ancré dans la réalité du territoire : pollution de l’eau, mise en danger de l’économie territoriale dans agriculture et le tourisme, etc. Il porte aussi une réflexion sur la croissance économique qui, souvent, n’intègre pas les externalités négatives et intergénérationnelles de l’activité économique.

Aucun des militants écologistes ou des habitants ne prétendent à une « deep ecology » mais ils questionnent les moyens de mettre en place un développement durable dans la région, permettant ainsi de penser la pluri-dimensionnalité économique, sociale et environnementale.


D’ailleurs, il serait bon de réfléchir aux interdépendances entre les niveaux locaux, nationaux et régionaux. Si les problèmes environnementaux peuvent être des instruments pour créer un dialogue régional, ils peuvent être un outil de déclenchement ou de réactivation des conflits.


Au risque de me répéter, l’insistance de l’Azerbaïdjan sur la pollution subie en provenance de l’Arménie est significative. D’autant plus quand on connaît la dépendance hydraulique du pays. Le Karabagh est un véritable château d’eau. Mais, à l’inverse, le respect des normes afin d’éviter la pollution massive de l’eau ne pourrait-il pas être une occasion de tempérer ou de calmer les tensions interétatiques et permettre de créer une intégration de l’Azerbaïdjan dans son environnement immédiat ?


Les questions environnementales n’ont pas la même acuité selon les sociétés. Mais les progrès de productivité intégrant la valeur des ressources épuisables sont nécessaires pour réduire la pauvreté ou l’exclusion : l’arrêt de l’exploitation d’une mine est finalement moins grave que les déchets qui restent et que l’absence de diversification économique que son exploitation a entraîné. Encore faut-il que les lobbies, les égoïsmes ou les visions à court terme de certains pouvoirs, acceptent de penser le capital économique au regard du capital naturel, en terme de responsabilité et non dans une logique appropriative.


Nikol Pachinian a raison de souligner que la « révolution économique » doit être en adéquation avec la révolution de velours. Tout d’abord parce que les habitants de la région de Vayots Dzor ont posé la question écologique au sein même des droits fondamentaux : liberté d’opinion et liberté d’expression. Et qu’ils revendiquent que sa discussion soit l’affaire de tous. D’autre part la gestion du secteur minier serait le parfait exemple pour une « révolution économique » qui aurait un sens. L’institutionnalisation d’un mode particulier de reproduction des relations de pouvoirs internes du pays a entraîné une absence totale de transparence et de responsabilité : l’état cède ses droits sur des ressources à des compagnies étrangères ou à des oligarques. Ce qui, non seulement s’est soldé par une défiance totale de la population envers les institutions publiques mais a conduit à une pollution grave du système hydraulique de certains bassins arméniens.


Sortir d’une économie qui a longtemps oscillé entre exploitation et démarche « compassionnelle » ne sera pas chose facile, mais on peut espérer aussi que le monde occidental réponde positivement à cette révolution qui n’a pas détruit les structures économiques comme beaucoup d’autres. Pourquoi ne pas envisager, plutôt que des aides au développement qui sont finalement des dons et qui touchent généralement les secteurs sociaux, des prêts occasionnels ou une aide sous forme de garantie ? C’est une source de financement qui a été essentielle dans le développement des pays riches. Des prêts à conditions favorables sont un élément favorable au développement.


Pour aller plus loin:

1. Vidéo sur la mine d'or d'Amulsar (Bankwatch network)

https://www.youtube.com/watch?v=cuFZSDT8o3k&feature=youtu.be

2. Vidéo de Serge Tankian : Save Amulsar:

https://www.youtube.com/watch?v=VPTwz56Ix54&feature=youtu.be

3. http://www.armecofront.net/en/#

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