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Appel de Nikol Pachinian à la désobéissance civile en Arménie

Dernière mise à jour : 21 juin 2019

Alain Navarra-Navassartian


Nikol Pachinian n’est pas un nouveau venu sur la scène politique arménienne. Déja en 2008 il était l’un des meneurs des manifestations contre l’élection de Serge Sarkissian comme président. Après s’être rendu, il fut arrêté et relâché en 2011.

Ce qu’il révèle au peuple arménien, fatigué et désabusé par des années de corruption et d’un système oligarchique, c’est que la possibilité d’un changement est possible.

Oligarchie qui concentre le pouvoir économique et l’utilise à des fins politiques.

Les derniers propos tenus par le vice-président du parlement arménien, Edouard Sharmazanov (« Monsieur Pachinian, je ne vous vois pas au poste de premier ministre… Nous devons choisir une personne qui n’est pas imprévisible. On ne peut pas être socialiste et un peu libéral ») démontrent comment dans une oligarchie civile, le système est soutenu par « l’Etat de droit ». Si l’oligarchie civile fonctionne, c’est que ses dirigeants institutionnalisent leur pouvoir, grâce à la loi, les médias ou les rituels politiques. Le système juridique, biaisé en Arménie, joue en leur faveur. Leur comportement illégal est rarement puni.

Nikol Pachinian en a donc appelé à la désobéissance civile. Le terme est important, il qualifie et situe l’action de Pachinian dans un désir de démocratie.

La désobéissance dans ce cas est constitutive de la démocratie, tout simplement parce qu’il existe en Arménie des droits à conquérir. Il ne s’agit pas de mouvements séditieux qui souhaiteraient renverser un gouvernement ou un régime, mais bien la volonté d’acquérir des droits sociaux, politiques et économiques pour les citoyens arméniens. Il ne s’agirait pas de concentrer l’ensemble des efforts à garantir l’égalité politique en négligeant la menace directe qui résulte de l’inégalité économique.

Ces manifestations, et c’est bien la leur force, ne sont pas le fait d’une minorité d’individus, mais sont une action collective organisée qui s’articule autour dune exigence d’obtention ou d’extension de droits essentiels à la dignité humaine.

Il ne s’agit plus cette fois d’un simple mécontentement populaire, mais bien d’une opposition frontale au gouvernement et du passage d’un mécontentement à un mouvement social. Face à une crise économique et sociale profonde, les instruments traditionnels de médiation des conflits sont inopérants. L’insécurité du travail ou le chômage galopant, l’absence de perspectives pour une jeunesse qui se dit prête à partir à plus de 74%, la précarité et le monopole économique oligarchique ont crées des craintes et des frustrations quant à la marginalisation et la réduction des moyens de subsistance.

La pauvreté, les ressentiments dus à des politiques promises et non obtenues et un avenir incertain amènent l’Arménie à être confrontée à plusieurs conflictualités sociales.

L’absence de contre-pouvoir et de réelle société civile finit par jouer contre le régime. La validité du contrat social entre la population et le gouvernement est remise en cause et à juste titre.

La pérennité de la mobilisation sur un temps long et l’émergence d’une organisation collective critique jouant le rôle de contre-pouvoir doivent être soutenues par l’ensemble de la diaspora désireuse d’une Arménie démocratique et respectueuse de ses concitoyens.

La crise qui touche l’Arménie prend de plus en plus l’apparence d’une crise structurelle systémique et l’appel de Pachinian à la désobéissance civile fait parti des opportunités politiques pour un changement bénéfique au pays.

Les manifestations, les propos recueillis, l’engagement des différentes classes d’âge du pays, et les discours mettent l’accent sur des revendications exprimant une colère fondée sur le sentiment d’une dignité bafouée. Le peuple arménien, sa jeunesse soutenue par les aînés exprime une conception du politique dans laquelle chacun et chacune doit (re) trouver sa « voix » pour dire le cours intolérable de la politique économique et sociale du gouvernement.

En regardant l’ensemble des manifestations de ce type dans la région sud-Caucasienne, on retrouve la même revendication à la dignité.

La démocratie n’est pas seulement un modèle, elle est aussi une expérience, un objectif à réaliser. Les mouvements sociaux arméniens montrent de nouvelles voies à l’universalisme démocratique.

L’universel, européocentrisme, qui ne dit pas son nom, a aujourd’hui d’autres voies d’accès que celles déterminées par l’Occident, comme on peut le constater dans les luttes pour les droits humains dans la région et qui sont finalement peu rapportées par les médias occidentaux ou du moins pas assez relayées lorsque la géopolitique met son véto.

L’universalité passe par un mode insurrectionnel pour ouvrir une brèche dans une « réalité clôturante » comme le soulignait François Jullien et retrouver les voies de l’aspiration.

Tout soulèvement est porteur de changements. Les évènements de ces dernières semaines seront-ils le creuset du changement ?

Une ONG comme Hyestart ne doit pas s’impliquer politiquement, mais elle soutient les droits humains. Ces droits sont une classe particulière des droits subjectifs, ils sont la capacité et la faculté d’un sujet et c’est cela que nous défendons : l’idée que la dignité humaine comme subjectivité (être sujet) est le présupposé du concept des droits fondamentaux et des droits de l’homme.

C’est en cela que nous ne pouvons que soutenir et être attentif à ce qui se passe en Arménie.

D’autre part la situation de pauvreté d’une part importante de la population ne peut pas laisser indifférent. Elle est en fait le principal facteur des mobilisations et contestations. Les politiques économiques ou leur absence ont créé des déséquilibres à la fois micro et macro –économiques plombant les couches les plus précaires de la population. Oscillant entre politique de redistribution, grands projets, politique d’inspiration néo-libérale et la volonté d’attirer des capitaux étrangers, le gouvernement a affirmé plus d’une fois être parvenu à reprendre le contrôle des indicateurs économiques. Mais le coût de la vie n’a cessé d’augmenter et la réalité de la situation désastreuse se constate dans les villes secondaires (Gyumri, Vanadzor et Kapan). Quant au flux migratoire interne, il déséquilibre les régions rurales qui voient disparaître, à la fois la main d’œuvre locale et les marchés nécessaires à leur survie et contribuent à un accroissement urbain non planifié qui génère encore plus de pauvreté.

Le conflit non résolu du Karabagh qui inquiète à juste titre la population arménienne et la diaspora et reste toujours en arrière plan de toutes les déclarations diasporiques : pas de guerres civiles qui profiterait aux Azéris (ceci étant dit bien évidemment de manière moins simpliste) ne doit pas nous faire oublier qu’une population ne peut pas tout accepter par peur.

L’un des pères de la désobéissance civile, Henri David Thoreau (1817-1862) a une position simple dans son principe : on a non seulement le droit mais le devoir de résister et donc de désobéir lorsque le gouvernement agit contre ses propres principes.

Ce qui se passe en Arménie, dans la non-violence, est un tournant décisif pour le pays. Nikol Pachinian appelant à la désobéissance civile a réussi à mettre en marche une désobéissance civique : les Arméniens ont recrée leur citoyenneté, ils ont contesté l’ensemble du système de reproduction de la domination qui était une atteinte à leur dignité d’hommes et de femmes.

Il restera à faire le plus difficile : forger une volonté commune, donner des structures à ces mobilisations et organiser le passage du social au politique.


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